Agriculture Urbaine et sécurité alimentaire


[le 21/12/2018 par Association A.R.T]

Qui ne voit pas fleurir sur certains trottoirs des bacs surélevés avec un pancarte « Servez vous » ? Des espaces collectifs dont la gestion est déléguée à un groupe de quartier pour faire pousser des légumes ? Des projet de construction d’immeubles avec un toit-serre pour installer une activité de maraichage d’un nouveau genre. L’agriculture urbaine regroupe une palette d’activités assez riche. Mais de quoi s’agit-il ? Quels sont les bénéfices attendus et les limites de telles implantations intra-muros. Nous allons essayer d’y voir un peu plus clair.

L’ADEME* définit l’agriculture urbaine (AU) comme « tout acte maitrisant le cycle végétal ou animal dans un but de production alimentaire ayant lieu en zone urbaine » . Elle consiste donc en l’appropriation de surfaces diverses pour y faire pousser des denrées alimentaires et y élever des animaux (lorsque cela est possible). La liste est longue et ne saurait être exhaustive. Les toits des immeubles neufs ou anciens (adaptés), sous serre, en plein air, en pleine terre ou en bacs, dans des conteneurs, des garages, des caves et des espaces laissés vide : « des interstices végétalisables », des jardins partagés, des jardins ouvriers… tout y passe.

L’enjeu majeur de cet engouement est le besoin d’un retour à une sécurité alimentaire de proximité.

Cela était en grande partie le cas il y a encore 70 ans, lorsque la France était à dominante rurale et qu’existait sur le pourtour des grandes agglomérations des ceintures de production maraichère et fruitière. Ceintures vertes et productives, qui se sont réduites à peau de chagrin, du fait de la concentration des populations dans les villes et de l’accaparement des terres pour le développement des infrastructures urbaines.

Pour l’heure, la majeure partie des denrées alimentaires approvisionnant les villes provient de l’extérieur. Chaque jour 6000 tonnes de denrées comestibles sont nécessaires pour assurer l’alimentation d’une agglomération de 10 millions d’habitants. Selon la FAO* d’ici 2025, 65% de la population vivra dans les zones urbaines, en 1994 ce chiffre était de 45%. Les projections parlent même de 80% des 10 milliards de terriens d’ici 2050 !

C’est face à cet enjeu que l’AU s’articule autour d’une grande diversité de projets qui se caractérisent par :

– Les lieux d’implantations.
– Les techniques culturales : Sol, hors-sol, verticale, avec ou sans produits phytosanitaires…
– Les productions : produits périssables de type légumes, fruits, miel, œufs, poissons, volailles…
– Le système économique : marchand ou non marchand.
– Les porteurs de projet : Exploitants agricole, associations, entreprises, collectivités, particuliers…
– Les objectifs attendus : Production, récréatif, pédagogique, social, paysager…

Les productions de l’AU sont concentrées sur des denrées qui exigent peu de surfaces de terre arable, peu d’intrants (substrat, engrais, produits phyto, eau..) de consommation quotidienne.

L’AU navigue entre plusieurs tendances. L’une d’elles tente de répondre à la crise environnementale et sociétale actuelle avec comme support le jardinage biologique, la permaculture, le besoin de retour à la terre pour des citadins « déconnectés », le développement de matériaux recyclés… et une autre plus high-tech, connectée de type production hors sol.

Nous voyons donc émerger des conteneurs à l’abri desquels poussent des fraises, des salades… sous lumière artificielle avec aération et gestion des intrants hautement contrôlés ! Des fermes verticales dont la gestion est automatisée, côtoient des serres de toit d’un nouveau genre, des bacs de terre rapportée dans les cours d’immeuble et les espaces communs, des fermes aquaponiques, produisant légumes et fruits tout en élevant des poissons, des jardins familiaux, ouvriers, partagés…

Pour autant, l’AU est-elle un phénomène de mode pour citadin en mal de nature ou bien une véritable alternative, une vraie manière d’assurer une souveraineté alimentaire locale ?

Plusieurs bénéfices sont observables :

– Augmentation des surfaces végétalisées, meilleure qualité de vie perçue par les citadins.
– Meilleure gestion des eaux de pluie et de ruissellement.
– Restauration des sols, phytorémédiation, développement de la biodiversité.
– Production de denrées périssables au plus près du consommateur.
– Réduction des GES* dans les jardins familiaux (plan zéro phyto et gestion des déchets organiques).
– Bénéfices sociaux, pédagogiques, lutte contre la violence…
– Meilleure appréhension d’une nourriture de qualité et de saison.

Ses points positifs ne doivent pas, ne peuvent pas nous faire oublier les obstacles rencontrés, car ils sont de taille.

Le premier et le plus important concerne les surfaces disponibles en ville. Le développement des villes ne s’est réalisé depuis l’après-guerre qu’en mettant à l’écart les zones de production alimentaire. Les villes ne sont pas pensées pour l’agriculture. L’étalement urbain (infrastructures de transport, habitats individuels, zones commerciales, industrielles, artisanales, logistiques, loisirs…) entre 2006 et 2010 accaparait 78 000 hectares de terres agricoles. Tous les 10 ans c’est la taille moyenne d’un département français qui disparaît au profit de l’artificialisation des sols. Les villes et leurs infrastructures continuent de s’étendre. [cf 1]

Où donc trouver des surfaces à même de combler les besoins quotidiens en produits frais des citadins ? C’est là que l’AU bloque ! Elle ne peut mathématiquement pas fournir l’intégralité des produits nécessaires à la ville quotidiennement. C’est là que nous constatons raisonnablement que le développement de l’AU reste marginal dans les années à venir. A titre d’exemple, la ville de Paris disposerait de 80 ha de toits. Avec une production comprise entre 60t à 160t par ha et par an, cela couvrirait à peine 10% de la demande alimentaire en légumes en production intensive. [cf 2]

Le second concerne la question de santé publique. L’air ambiant, les retombées de polluants atmosphériques liées au trafic routier, aux activités industrielles, à certains mode de chauffage… La qualité des sols sur les anciennes friches industrielles, voies de circulation, les eaux de ruissellements ! En somme toutes les pollutions en liens avec les activités humaines.

Quelques études, peu nombreuses à ce jour, ne permettent pas de se forger une opinion arrêtée. Il ressort néanmoins qu’il est fréquent de rencontrer des concentrations en plomb, en cadmium, en cuivre, en zinc dans les légumes issus des jardins communautaires, familiaux. Ses concentrations sont supérieures dans les légumes feuilles mais restent inférieures aux réglementations européennes. La présence de ces éléments métalliques est inférieure dans les productions fruitières. Présents sous forme de trace, voir inexistants dans le cas de culture hors-sol, sur les toits par exemple. Il apparaît que, plus les obstacles sont nombreux (immeubles, arbres…) moins les polluants sont présents.

Pour résumer, il est impossible aujourd’hui de généraliser les impacts environnementaux des projets au regard de leur spécificité et de leur nombre croissant. L’AU est à la croisée des chemins et répond à un véritable engouement citoyen. Elle n’est en rien miraculeuse mais peut permettre l’approvisionnement en denrées fragiles hautement périssables et de qualité. Celle-ci est dores et déjà complémentaire à l’agriculture rurale, bien que marginale en terme de quantité produite. Le rôle pédagogique de l’AU permet aux consommateurs de s’approprier la phase de production, d’avoir accès à des produits locaux, voire de modifier leur régime alimentaire. L’idée est donc d’optimiser l’usage qui est fait des surfaces disponibles en ville avec la production de denrées véritablement adaptées au contexte.

Face à ce constat, il convient de rappeler qu’il est nécessaire de porter un regard neuf sur les territoires ruraux. L’agriculture familiale continue de fournir une partie importante de l’alimentation du territoire. Les surfaces agricoles doivent être préservées de l’urbanisation si nous souhaitons assurer notre souveraineté alimentaire territoriale. De plus, de nouvelles formes et tailles de ferme familiale doivent s’implanter sans plus attendre.

Dans cette logique, la conception permaculturelle peut identifier les besoins, les ressources et les limites inhérentes à l’installation et la planification d’unités de productions alimentaires viables, en concertation avec les autres acteurs des zones urbaines. Affaire à suivre donc !

FAO : Food and Agriculture Organization of the United Nations

ADEME : Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Énergie

GES : Gaz à Effets de Serre

[1] https://www.ademe.fr/sites/default/files/assets/documents/agriculture_urbaine.pdf
[2] http://www.iau-idf.fr/savoir-faire/environnement/defis-alimentaires/lagriculture-urbaine-nest-pas-un-phenomene-de-mode.html

Pour aller plus loin :

http://www.fao.org/docrep/003/w1358f/w1358f07.htm
http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/227/226/pollution-lair-metaux-lourds.html
https://www.eco-quartiers.org/documents/Agriculture%20Urbaine%20Agrodok.pdf
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